vendredi 22 octobre 2010

L'acte sexuel comme pénétration magique de la femme Yin dans l'homme Yang

 Pourquoi le pont chinois est-il un pont magique ? 

Le pont est pierre, passage sur l'eau. Imposition du Yang comme passage sur l'étendue Yin.

 Le site paristimes.net  présentant la symbolique chinoise interprète le pont ainsi :
"Les ponts sont souvent en demi-cercle, en arc-en-ciel, ce pont qui relie la Terre au Ciel. Avec le reflet de l'eau, le cercle se complète, devient Ciel. Le pont, c'est le symbole horizontal complémentaire de celui, vertical, de la pierre dressée ou du pilier d'architecture. Bien sûr le pont a pour première fonction de relier deux rives en franchissant une rivière. Mais symboliquement, le pont est une voie resserrée, un passage obligé qui conduit vers une autre étape de la vie. Et passer d'une rive à une autre, d'un état d'être à un autre, c'est aussi couper un courant, ce qui n'est pas toujours sans risque !"

Mais cela ne suffit pas, pour qu'il y ait force magique, il faut que le pont soit image. Voyons cette photo : dans enchevêtrement urbain, le pont traditionnel fait "image", en se découpant son propre cadre.

 
Ce pont est déclaré magique car à cette image s'associe un poème. Par exemple, un fugitif songe que jamais il ne pourra emprunter les ponts qui mènent à une ville.

Le fugitif1

A l’heure où le soleil va se cacher à l’horizon derrière les mûriers et les ormes,
Je me mettais en marche, inondé de lumière par ses derniers rayons ;
J’allais, parcourant le tableau changeant des montagnes et des rivières,
Et tout à coup je me suis trouvé sous un autre ciel.
Devant mes yeux passent toujours de nouveaux peuples et de nouvelles familles :
Mais, hélas ! mon pauvre village ne se montre pas !
Tandis que le grand Kiang pousse vers l’Orient des flots rapides que rien n’arrête,
Les jours de l’exilé s’allongent, et semblent ne plus s’écouler.
La ville à double enceinte2 est remplie de maisons fleuries,
Et, jusqu’au cœur de l’hiver, les arbres y conservent leur verte couleur.
Le mouvement y est incessant ; tout y révèle la cité fameuse,
Où, de toutes parts, les joueurs de flûte remplissent l’air de sons joyeux.
Elle est certainement belle la ville à double enceinte, mais je n’y ai pas un ami dont le toit soit mon refuge.
J’incline la tête ; je contemple vaguement la perfection du fleuve et de ses ponts.
Les oiseaux, quand le soir vient, retrouvent chacun leur tranquille retraite,
Et, pour moi, ce vaste empire n’est plus qu’un immense désert.
La lune naissante ne jette encore qu’une faible lumière 3,
Et de nombreuses étoiles rivalisent avec elle d’éclat.
Depuis les temps anciens, que de fugitifs comme moi ont parcouru la terre étrangère !
Ai-je bien le droit de me plaindre de mes malheurs ?

Finalement, la magie consiste à trois éléments : des mots, une image, un corps ; et en deux opérations :

- associer des mots à une image

- faire vivre cette image dans un corps.

Nous retrouvons ici la méthode précédemment évoquée du charme destiné à fortifier les forces d'un amant fatigué. 
Ci-contre un "Charme" (Fulu) sous la forme d'un papier ou d'un tissu à  brûler puis à dissoudre et à faire boire à l'amant fatigué ...


Des mots sont écrits dans une image. Puis cette image est donnée à manger au corps. C'est comme si , par cette méthode, le corps ingérait la force du mot.

Regardons un jeu pratiqué par une Nounou lors d'un repas donné à des enfants.

L'objectif est de réveiller un appétit défaillant. Aussi la nounou transfigure la nourriture : un spaghetti devient un "ça tourne". L'enfant ne mange plus un spaghetti mais quelque chose qui "tourne". L'enfant ingère une "qualité" dans son corps. Peut-être après, il se sentira fort quand il s'agira de "tourner", par exemple tourner sur un manège.

Le pont, le jardin, au delà de leur matérialité, sont des images. Ce sont des images magiques, car à la condition d'en jouir (rêvasser sur un pont, se promener dans un jardin..), l'utilisateur acquière les qualités inscrites dans ces images.

Cependant, notons ceci, le jardin est une image ou s'inscrit la force de la Nature, de l'Eau, du Yin. C'est du Féminin, agencé par du Masculin. La femme symbolique se donne à jouir, à manger.

La femme comme image magique fécondant l'homme

La technique du retournement de semence peut s'analyser comme une opération magique de fécondation. Pour l'homme, il s'agit d'ingérer dans son corps la force du Yin. Cela revient à une fécondation.

En Occident, nous avons comme représentation de l'acte sexuel, une opération de pénétration de la femme par l'homme.

A l'inverse, les chinois, à la suite des hindous, se représentent l'acte sexuel comme une "pénétration de la femme dans l'homme". Ce qui de la femme entre dans l'homme, c'est la force magique de la femme. Le sexe de l'homme se métamorphoserait en vulve. Puis, il y aurait donc un point de captation, qui serait en quelque chose "l'utérus de l'homme" où se combinerait le Yin et le Yang. Enfin, l'énergie Yin-Yang, Lune-Soleil remonterait vers le cerveau la façon d'un serpent.

Cette transfiguration nous est figurée par une sculpture de l'artiste britannique d'origine indienne Anish Kapoor, sculpture nommée "The slug". On notera la forme vulvaire et la couleur rouge sang de la coupe



Robert Van Gulik suggère que les fameux charmeurs de serpent hindous sont une mémoire de ce fameux serpent, image de la semence à la fois Yin-Yang.

De fait, c'est un peu plus complexe. Revenons alors à la formulation exacte originaire !

Comment atteindre le nirvana en se faisant soi-même un enfant purifié  (et mâle) ?

De Robert Van Gulik « La vie sexuelle dans la chine ancienne », à propos du mysticisme sexuel indien et chinois

« … La troisième nouveauté apportée par le Vajrayâna, c'était un mysticisme sexuel, hautement spécialisé, fondé sur ce principe que l'on pouvait s'unir complètement avec la divinité et atteindre la félicité suprême, par un processus de méditation à base de coitus reservatus. Gardant ce fait présent à l'esprit, que tout homme a en lui un élément féminin, que toute femme a en elle un élément masculin, ils visaient à éveiller l'élément féminin dans le corps du pratiquant, pour y effectuer une sorte de mariage mystique, par lequel ils surmonteraient la dualité sexuelle et parviendraient à l'Idéal de l'hermaphrodite. A leurs yeux en effet, comme-à ceux de à bien des mystiques en d'autres temps et lieux, l'hermaphrodite était la ressemblance humaine la plus proche de la divinité.

Tucci remarque : « le disciple, grâce à l’acte sexuel, reproduit le moment créateur. Mais il ne faut pas que l'acte s'exécute jusqu’à ses conséquences naturelles ; il doit être maîtrisé par le pranayama (la méthode de rétention du souffle de l'ancien Yoga, R. v. G.), de telle manière que la semence rebrousse chemin, ne coulant pas vers le bas, mais refluant vers le haut, jusqu'à atteindre le sommet de la tête, et de là s'évanouir dans la source incréée du Tout » (TPS, p. 242).

Au principe de ce procédé se trouve la théorie vajrayanique selon laquelle le dualisme sexuel du corps humain réside en deux réseaux nerveux courant le  long de la moelle épinière, à droite et à gauche, nommés respectivement lalana et rasanâ. Lalanâ est femelle, et représente l'énergie créatrice femelle (sakti), la mère; les ovules (rakta, « le rouge »), la série des voyelles et correspond à la lune; définitivement sublimée, c’est le vide (sünyatâ), et aussi-la gnose (prajna). En revanche, rasanâ est mâle, énergie créatrice mâle (purusa), père, semence (sukra), séries des consonnes (kali), et correspond au soleil; définitivement sublimé, c’est la compassion (karunâ), et aussi la praxis (upaya). Aussi longtemps que ce dualisme existe au sein de l'homme, il demeure pris dans le samsâra, la « chaîne des renaissances », et séparé de la divinité.

Afin de surmonter ce dualisme, le pratiquant, uni dans une étreinte sexuelle réelle ou imaginaire avec une partenaire féminine, se concentre sur la pensée-bodhi (bodhicitta), qui réside sous forme de germe dans le nirmâna-cakra, centre nerveux des environs du nombril. L'énergie femelle acquise de la femme stimule la bodhicitta de l'homme, se mélange à sa semence activée mais non répandue, pour former une essence nouvelle et puissante appelée désormais bindu, la goutte, ici « semence transmuée». Le bindu se compose de l'essence des cinq éléments (terre, eau, feu, air et éther), tout comme l'embryon humain; de fait, on compare sa formation dans le corps du pratiquant à la conception normale dans l'utérus (cf. ORC, p. 21); le bindu se fraie un passage en perçant la séparation du lalanâ et du rasanâ ; il ouvre un nouveau réseau nerveux, un réseau a-sexué techniquement appelé avadhutika « le purifié » .

Le bindu flambe vers le haut, le long de ce réseau, vers le dharma-cakra, centre nerveux de la région du cœur. De là s'élève encore vers le centre de la forge, sambhoga-cakra, pour atteindre finalement le usnisa-hamala, le « Lotus du sommet de la tête » ; au cours de son ascension, le bindu a confondu ses éléments constitutifs en une seule et homogène splendeur. Dans le usnisa-kamala, cette splendeur provoque l'union parfaite du sunyata et du karunâ, du prajnâ, et de l'upaya, parachevant ainsi l'identification définitive du pratiquant avec la divinité et avec le Vide : c'est un état de félicité éternelle appelé nirvâna, ou encore mahâsukha.


Le stade décisif du processus, c'est le premier, la formation du bindu, qui s'effectue grâce au stimulus reçu de la partenaire érotique. Certains textes la représentent comme une image évoquée à force de concentration et de méditation; avec elle, l'union est une union spirituelle. Cependant, la plupart des textes affirment qu'il faut que ce soit une femme réelle, déclarant tout uniment que « l'état de Bouddha habite l'organe féminin », buddhatuam yosit-yoni-samâsritam (cf. C. BENDALL citant le Subhâsita samgraha, dans Muséon, 1903-1094), et que l'utérus, en fait, est la science, prajnâ (cf. ITB, p. 102 sq. et aussi SM, p. XXXII).

Certains documents disent que cette femme doit être l'épouse du pratiquant, et convenablement initiée; mais selon d'autres, il peut choisir la femme qu'il veut; ils vont même jusqu'à recommander une femme de basse condition ou une paria, candali ou dombi, qui serait particulièrement adaptée à cet usage. A cet égard, il faut noter que le réseau neutre, auadhûtihâ, s'appelle aussi candali ou dombi.

Ce que l'on vient d'exposer prouve que le Vajrayâna s'appuyait de tout son poids sur une pensée plus ancienne, bouddhique et hindoue. Les trois centres nirvâna, dharma et sambhoga proviennent bien entendu des trois kaya (corps mystiques) du Bouddha : et l'élévation de la Bodhicitta fait écho à la doctrine-Mâhayanique du dasabhumi, des dix étapes à franchir pour atteindre l'état de Bouddha, ce qui est en soi une version de la méditation du yoga hindou. Quoi qu'il en soit, la conception du coitus reservatus offrant un raccourci pour parachever l'illumination, c'est là un élément entièrement nouveau, inconnu sous cette forme dans le bouddhisme pré-Vajrayâna.»

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